lundi 17 mai 2010

dépassement ou accomplissement ?

Jérôme a le don de susciter la réflexion sur le sens de mon engagement dans la course à pied et bien au delà de la simple recherche de performance. Dans ses derniers commentaires il demande assez simplement quel a été le chrono du marathonien et de façon tout aussi simple : "que devons nous chercher le dépassement ou l'accomplissement ?".

A la première question, la réponse est immédiate, c'est un temps brut 2h50'37.

La deuxième question est celle qui va nécessiter un plus long développement.

En liminaire, j'évoquerai quelques athlètes que j'entraîne, il y a, vous vous en doutez, des profils très variés et cela aboutit à des motivations bien différentes dans la pratique de la course à pied.
Il y a celui qui ne cherche pas un accomplissement de soi. Il y a celui qui ne cherche pas à se dépasser. Il y a celui qui croît qu'il atteindra son accomplissement s'il se dépasse et celui qui s'est peut-être dépassé et n'a pas atteint son accomplissement.

Parmi ceux que je n'entraîne pas, il y a des athlètes qui ont faim, faim de gagner pour eux et pour subvenir aux besoins de leurs proches. Il faut intégrer cela à notre réflexion.

Parmi ceux qui n'ont pas faim, il y a des coureurs qui croient qu'ils ont des capacités limitées et leur motivation est de participer à une course qui leur paraît inaccessible alors terminer c'est déjà se surpasser.
Dans mon club, des débutants arrivent en début de saison, ils veulent courir avec les expérimentés avec les conseils des entraîneurs et petit à petit ils se décident et participent à des épreuves locales. Au tout début, juste alterner course et marche c'est déjà se surpasser.

Passons aux athlètes qui prennent une licence sans savoir pourquoi ou peut-être juste parce que chez nous c'est naturel d'être suivi par un entraîneur formé au club et diplômé par la FFA hors stade. Au départ moi-même je ne savais pas trop quel était mon objectif. J'ai pris ma licence car je trouvais ça complètement naturel d'être dans le club de mon entraîneur Christian Delerue. Il n'était pas question d'accomplissement mais sans doute de façon floue, je cherchais un dépassement, cela se concrétisait par la volonté de faire des chronos. Est-ce lié au besoin de prouver qu'on existe au travers du regard des autres ? Nous avons souvent besoin de repères comme des notes à l'école; des records en compétition nous placent quelque part sur une échelle et ceux qui rêvent d'absolu peuvent chercher à atteindre le sommet d'une hiérarchie, être le premier de la classe le patron du peloton, le président de ceci voire le président de la République.
On va monter sur un estrade, un podium, les autres nous verront nous applaudiront.

Un athlète de haut niveau voudra devenir champion du monde. Un athlète de niveau national voudra faire les minimas. En fait, tant qu'il y a de l'espoir, on veut se surpasser, pour être meilleur que celui d'à côté et déjà meilleur que soi-même.

Faisons un bref résumé en ne gardant que le marathon qui est le symbole du surpassement pour beaucoup.

Pour cette année sportive commencée le 1er septembre 2009, je retiendrai :
- Karim Atiki au marathon de Berlin fin septembre 2009, il a battu son record personnel 2h36'56 au lieu de 2h38'27, je ne crois pas qu'il a considéré s'être surpassé et pourtant il en avait envie mais ce ne fût pas un accomplissement, sa peformance l'a décu, d'ailleurs il veut y retourner et claquer un nouveau chrono.
- Thierry Collen et Bruno Rageau sont à mettre à part, ils sont coureurs, certes, ils ont amélioré leurs records tous les deux à Reims, thierry en 2h54'16 et bruno en 3h17'31. Ils sont à part parce qu'ils doivent s'entraîner pour eux alors qu'ils ont des gars à suivre et cela leur prend beaucoup de temps et d'énergie. Pour eux qui sont plus tournés vers les autres, c'est difficile de se surpasser car cela veut dire qu'on est centré sur soi le temps de la compétition mais nous savons que la préparation avant la compétition est aussi importante alors que leur nature est centré sur ceux qu'ils entraînent. En tant que coach de coaches je dois trouver le dosage et le moment très précis qui permet de séparer l' athlète de l'entraîneur. Tout le temps qu'ils resteront compétiteurs cela sera compliqué.
- Alain Martin avec seulement ses quatre séances par semaine a encore réussi à battre son record lors du marathon de Reims en octobre 2009, c'est aussi quelques minutes mais c'est quand même difficile de faire 3h18'42, je me rappelle qu'il n'y a pas longtemps au championnat de Bretagne de cross, alain était arrivé quasiment dernier et avait vu passer les champions qui lui mettaient un tour. Alain vient de passer vétéran mais il est encore de ceux qui vont aller chercher les secondes à l'entraînement. Même s'il vient de faire une sortie trail avec mes copains, je ne lui conseillerai pas de devenir comme nous "les vieux".
- Cédric Faucon qui nous a fait une performance énorme 2h35'38 au marathon de Paris, il a été au taquet de bout en bout et du coup son ami lolo s'est surpassé pour ne pas se faire bouffer par le jeune, ce qui a abouti aussi à un record personnel pour le vétéran 2h33'57. Dans la bouche et dans la tête de ces deux là il n'est nullement question d'accomplissement mais tout simplement ils veulent être devant, gagner, gagner des places, gagner des secondes et des minutes et pour cela ils cherchent le dépassement... de soi, cela va de soi.
- Olivier Bersot, première licence premier marathon avec le club à Reims et ... pas top, pas grave, première saison de cross, départemental et régional en Bretagne, il apprend la modestie du débutant crossman et au printemps il claque son record personnel 2h54'13. En regardant ses chronos, ce qui en ressort c'est que le garçon a super bien optimisé sur le marathon et il va falloir qu'il se dépasse sur 10km et sur semi. A ce jour il n'a pas encore engrangé de chrono officiel sauf sur marathon.
- Christophe Treuil blessé cet hiver a repris le chemin du marathon et à Sénart il a couru la distance sans faire de performance notable, nous savons qu'il est capable dans un futur proche de tout donner et qu'il faut aussi être patient.
- Bruno Charles et moi devons avoir une discussion sur comment il a vécu les dernières semaines avant le marathon, nous savons que ce n'est pas l'envie qui manquait mais l'environnement de son marathon était très personnel et il est des choses dont on n'a pas envie de relater sur un blog "public".
- Anthony Davoury a eu sa dose de patience car depuis un an il n'avait pas réussi de marathon, son chrono datait de La Rochelle 2008, suivaient Poitiers et Reims "moyens" et au marathon du Mt St Michel il avait un double objectif, battre son record et faire le temps de qualification en sénior c'est à dire 2h45'00. Il a bien battu son record personnel mais le vent l'a empêché de concrétiser un bel entraînement. pour quelques cinquante secondes. Nous l'avons déjà dit, plusieurs minutes ont été ajoutées à pas mal de chronos (johnny et franki en 2h36 et 2h37 alors qu'ils visaient en dessous de 2h30) ce qui fait croire que pour Anthony, la prochaine fois sera peut-être la bonne.
- Benoît Blanchard a été à la source de mes dernières réflexions, mais j'attire votre attention sur le fait que benoît est un ancien excellent compétiteur de marche athlétique, ce qui amène au geste technique et bien sûr le ressenti de la foulée "parfaite" , pour benoît le surpassement revêt automatiquement un caractère différent des autres, la boucle est bouclée, nous avons commencé par Karim qui était judoka qui du coup est un crossman et il sait toujours s'arracher dans la boue puis sur le bitûme et nous terminons avec Benoît "serein" qui avoue ne pas être bon en cross mais qui à mon avis est attiré par la course "accomplie" ce sera un prochain marathon.
Peut-être que si vous cherchez bien vous découvrirez un message envoyé à certains qui ne sont pas dans ce bilan de marathon, je suis pour que ceux qui peuvent encore se surpasser ne fassent pas semblant ... J'ai aussi des amis qui cherchent des course accomplies, nous en parlerons de vive voix dans la vraie vie.
Jérôme, puisque tu me lis, je te réponds personnellement: "cherche encore le dépassement !"

7 commentaires:

Unknown a dit…

Vaste question posée par Jérôme. On pourrait presque écrire un livre, en tout cas une belle dissertation.

Il y a quelques jours, quelqu'un m'a demandé ce que je cherchais dans la course à pied, au titre de compétiteur. J'ai répondu que je voulais battre mes record, progresser sur les différentes distances, aller au maximum de mes capacités. Mon interlocuteur m'a alors renvoyé ma réponse : "et quand tu auras battu ton record, qu'est-ce que tu chercheras ?". La réponse m'a semblé évidente : "Je chercherais à améliorer encore mon record".
Derrière l'apparente évidence, se cache en fait une vraie question : est-ce que je ne cours pas après un objectif inatteignable, puisque chaque fois que je m'en approche, je le repousse.
Je peux me dépasser, mais je ne m'accomplirais jamais puisque le but n'existe pas. Pourtant, j'ai quelques courses en mémoire où j'ai vécu un sentiment de plénitude, parfois après, quelquefois pendant et après la course. S'agit-il systématiquement de records ? Pas forcément mais le plus souvent oui. Il s'agit simplement de course où j'ai été fier de la performance par rapport à mon investissement à l'entrainement. Donc Dépassement.

Comme l'a dit Charlie, j'ai les 2 casquettes : compétiteur et entraineur. Je sais que mon activité d'entraineur perturbe un peu mes préparations de compétitions. Je laisse de l'énergie pour mes athlètes. A l'inverse, il m'arrive de manquer de temps et/ou d'envie pour mes athlètes à l'approche de grandes échéances.
Pourquoi faire les deux activités alors ? Parce que je me nourris aussi des deux expériences, des émotions que je reçois de part et d'autre. J'ai besoin des 2 activités pour me sentir bien.

Il y a quelques jours, j'ai vécu une grande émotion par l'intermédiaire de 3 athlètes marathoniens. Je ne pensais pas pouvoir être aussi ému alors que je n'étais pas acteur mais spectateur. Je me suis senti accompli au travers des performances de mes athlètes.

Alors accomplissement ou dépassement ? Je pense "équilibre"

Momo a dit…

"Je suis pour que ceux qui peuvent encore se surpasser ne fassent pas semblant ... J'ai aussi des amis qui cherchent des course accomplies, nous en parlerons de vive voix dans la vraie vie."

La vrai vie, c'est le travail, la famille, écouter de la musique, faire du sport, être avec les copains ....
La vrai vie c'est aussi des cycles avec des hauts et des bas ; avec des envies différentes à différents moments.
La course à pied s'organise aussi à travers différents cycles ( travail Vma, spécifique, compét...).
Je suis passé par le cycle compét à bloc. A chaque course, ventre à terre pour améliorer son chrono. Chaque entrainement doit nous mener à quelque chose. Aujourd'hui, je suis sur un cycle que je ne sais comment baptiser. J'ai envie de courir, je vais courir. Je n'ai pas envie, je reste chez moi.La dernière séance VMA ? Je ne sais plus quand je l'ai fait. Le dernier footing : 2h30 à LE FAOUET avec mon pote Gilou jeudi dernier. Je ne devais pas y aller mais j'ai eu envie.

Je ne me surpasse peut être plus, mais est ce que je fais semblant ??
Je ne crois pas, je crois que je suis sur un cycle différent de la compét ventre à terre.
Mais je n'ai toujours pas couru sous les 3h, et ça reste quand même dans un coin de la tête, enfoui quelque part mais qui surgira un jour peut être proche.
Ce jour venu, je ferai l'effort sur la diététique (mon gros point faible -> mangeur de saucisses on est, mangeur de saucisses .....), je ferai le test de paliers FC et je ferai appel à Charlie ou Thierry ou Bruno pourquoi pas. Ce jour là, il pourra tomber des cailloux dehors, je serai sur la piste. Je me souviens encore d'un 3 * 5000 sous la neige sur une piste boueuse à souhait. Le dernier 200m : bras levé. J'étais champion de Noyal Pontivy. Le marathon : 3h01 min et je ne sais combien de secondes. C'était en 2006 à Cheverny. Nostalgie, quand tu nous tiens....
Je me surpasserai encore..

Benoit a dit…

Si l'on m'avait dit avant le marathon du MSM que j'allais réaliser un peu plus de 2h50', j'aurais été insatisfait. Avant la course, on ne peut se fixer pour objectif que des chiffres. Et puis vient la course, sa réalité, la façon dont on la vit, les sensations qu'on y éprouve. Et, parfois, ce sentiment impalpable de plénitude vient faire oublier le chrono. Je me suis dépassé, arraché, le vent a joué contre moi, mais cela n'a pas d'importance. Jamais je n'ai aussi bien exploité mes moyens du jour J, et cela suffit pour que je considère cette course comme un grand succès. Je ne sais pas combien de fois je me suis repassé mentalement le film des 4 derniers kilomètres en compagnie de Dédé, parfois j'en frissonne !

Anonyme a dit…

j'ai connu une année 2009 riche à souhait en émotions, j'ai battu 2 fois mon record sur marathon et dans la vraie vie (comme dit Momo) je suis devenu papy , j'ai vécu des moments de très grande plénitude surtout à la naissance de ma petite fille Stella. Pour en revenir au marathon je me souviens du Mont 2009 , j'avais intitulé mon CR "40 km de bonheur..." et oui , pendant 40 km , ça n'a été que du bonheur , tout était facile , je m'y voyais déjà et au 40 éme je suis obligé de ralentir et je termine insatisfait en ayant malgré tout amélioré mon chrono ! Ensuite , j'enchaine sur Reims , 4 jours après la naissance de Stella , les sensations sont moins bonnes et même si je me sens bien au début , la course a été plus difficile pour moi, je n'ai pas ressenti cette aisance comme au Mont et pourtant j'améliore de nouveau mon chrono et je suis bien sûr très satisfait. J'ai préféré ma course du Mont à celle de Reims et pourtant je suis plus heureux après Reims , pourquoi ? le chrono bien sûr mais aussi la force de s'accrocher , je faiblissais mais j'ai tenu , je suis allé au bout de moi même , le dépassement de soi aidé par la naissance de Stella , j'ai puisé la force dans tout cela , je suis quelqu'un qui fonctionne aux émotions , le dépassement de soi , la plénitude , la souffrance , pour moi c'est un ensemble d'émotions et c'est en fonction des évenements que l'on vit qu'elle se mettent en place. En résumé pour être bien sur une course , il faut que je sois bien dans ma vie. On est tous different , on ne recherche pas forcement la même chose , je pense que malgré tout c'est plus facile en étant bien dans sa tête , en quelques sortes , pour moi ça serait " être serein dans un corps sain..." 2010 a été différent pour moi , j'ai un début d'explication , ça ne pouvait pas se passer autrement ,je pense même mettre fait hara kiri en montant à 160 Pm a un cetain moment , comme me l'a dit charlie , j'avais envie d'en finir avec ce marathon !

Le dépassement ou l'accomplissement , les 2 mon général , l'un va-t'il sans l'autre ?

Bruno c

Jérôme a dit…

Et bien, je ne pensais pas avoir suscité très indirectement tant de réflexions et témoignage. Un grand merci à toi, Charlie, pour ce débat abordé sur ton blog.
Ma question faisait écho à ma lecture de livre Isabelle Queval, "S'accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport contemporain", il y a 4 ou 5 ans.
C'est peut-être en se dépassant qu'on s'accomplit mais il y a d'autres voies que les chronos explosés. J'ai lu tous les témoignages et je suis loin d'être aussi sérieux dans ma pratique de la course à pied : pratiquement jamais de stade (4-5 fois par AN !). Je cours, point barre, 4-5 fois par semaine, 55 km en moyenne, souvent sans chrono ou bien, si je suis avec un ami, avec mon GPS juste pour le plaisir de voir le trajet.
Qd je me suis mis à la càp, en 2003, j'ai répondu à la question "pourquoi courir ?", ici, http://coursesdejerome.free.fr/pourquoi.htm

Jdy a dit…

Dépassement ou accomplissement ?

La pratique du sport est par définition une exhortation à se dépasser. Comme le dit très justement Bruno, le compétiteur qui sommeille éventuellement en nous cherchera ses limites pour gagner quelques secondes.

Quoiqu'il arrive l'être humain cherche à satisfaire des besoins fondamentaux et l'accomplissement personnel est le plus haut dans la hiérarchie et celui qu'on rêve tous d'atteindre.

Cette saison 2009/2010 aura pour moi un goût d'accomplissement personnel par la richesse des émotions partagées sur les cross, les 3èmes mi-temps, les bouffes entre copains du club et mon premier marathon. Elle aura aussi le goût du dépassement avec des chronos explosés, la découverte des cross exigeants et une première participation à la mythique et non moins difficile distance du marathon.

Alors dépassement ou accomplissement, peu importe finalement, on court avant tout par plaisir, parce qu'on aime çà, non ?

Jean-Daniel

Anonyme a dit…

L’accomplissement est une fin en soi qui suppose que le job a été fait à la perfection et donc que l’on ne pouvait pas faire mieux.

Mais je pense que beaucoup d’entre nous sont des éternels insatisfaits cherchant encore et toujours à améliorer leur perf.

Et pour s’améliorer, il faut repousser ses limites donc tendre vers le dépassement.

Il faut aussi tenir compte de l’âge. Personnellement, je suis de plus en plus confronté à cette notion d’âge. Je pourrais encore tenter de me dépasser mais sans avoir la certitude de faire les mêmes chronos.

L’accomplissement et le dépassement deviennent alors des notions à relativiser. Il faut considérer le chrono, le parcours, les conditions de course mais aussi l’âge du coureur ainsi que la qualité de sa préparation.

L’accomplissement et le dépassement peuvent être envisagés à condition de respecter son corps et de s’adapter faute de quoi ce serait une mission vouée à l’échec.