Mai 68, Mai 1981, des mois de rupture,
Mai 2012, il y a eu des changements dans ma vie, pas une révolution,
cependant une étape mémorable.
Il faut revenir avant ma naissance, mon
grand père paternel, vietnamien, s'appelle Lê Van Tram, mon papa
lui Lê Hoang An. Papa se marie avec une quarteronne, c'est à dire
que son grand-père paternel est Français, il s'est marié à une
vietnamienne, et mon grand-père s'est marié à une vietnamienne, la
maman de ma maman.
Qui suis-je ? En plus d'être octoron,
un huitième français et sept-huitième vietnamien, je suis français
de nationalité. Papa est devenu français à son mariage. En 1956,
deux ans après Dien Bien Phu, pour les français en Indochine cela
devenait très compliqué, Papa et Maman ont décidé de venir à la
métropole. La francisation du nom a eu deux conséquences sur l'état
civil. Lê étant trop court, papa a fait changer en Le Hoang An puis
Le Hoangan, son premier prénom était André, son deuxième Georges
et tous ses proches le prénommaient Georges. Pour je ne sais quelle
raison, papa a décidé que ses enfants se prénommeraient tous
Georges. Maman, elle, trouvait plus pratique de nous appeler chacun
différemment et c'est ainsi qu'elle m'appelait Charlie. C'est
vraiment très tard que j'ai appris que mon prénom officiel d'état
civil était Georges environ à l'age de 11 ans.
Papa souriait toujours quand je lui
racontais mes mésaventures administratives. Quand l'été 2010 au
Vietnam avec quelques frères nous avons répandu ses cendres, une
page a été tournée. Il m'a fallu un an pour me décider à
entreprendre les démarches pour demander à changer mon état civil.
Ce 21 mai 2012, je reçois un courriel
avec une copie du délibéré envoyée par le greffe du tribunal.
C'est officiel, Charlie est mon premier
prénom et cela va être inscrit au registre d'état civil à
Châteauroux, là où je suis né un jour de passage de Charles De
Gaulle il y a 53 ans.
Il y a la vie qui s'écoule, il y a
possibilité de s'installer dans le confort et il y a des parcours
chaotiques, il y a des aventures, des voyages inattendus, des prises
de risque. Il y a chez moi toujours l'envie de progresser, de
construire, de parfaire. En ce mois de Mai il y a eu une nouvelle
façon d'envisager le futur. Cette période de grande réflexion me
met dans l'inconfort, juste l'opposé de la routine qui pouvait
s'installer.
Les éléments fondamentaux sont
d'abord ma famille, avec Babeth mon épouse, nous sommes toujours
attentifs et vigilants sur le cheminement, la construction,
l'éducation de nos enfants mais ils sont grands maintenant ou tout
du moins les trois premiers, Camille 26 ans interne en médecine
générale, Julien 24 ans menuisier ex compagnon du devoir et maintenant
apprenti philosophe, Pierre 21 ans élève ingénieur, il reste Marie
16 ans lycéenne.
Après ma famille, il y a celle de papa
et maman, on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas ses frères
et soeurs, ils sont là, ils sont dans nos pensées et s'ils nous
appellent nous sommes prêts à les aider s'ils en ont besoin.
Il y a mes amis, ceux que j'ai choisis
et vice-versa. En ce mois de Mai, j'ai encore eu l'occasion de
savourer pleinement des moments simples de bonheur avec ceux qui
partagent quelques kilomètres de course et qui sourient, rigolent
franchement autour d'un repas.
Je ne connais pas la solitude du
coureur de fond, je suis un outre-coureur, je partage avec des
infra-joggeurs et au delà de mes passions sportives il y a ma quête
de progression dans la vie, la vie tout court pas un assemblage de ma
vie familiale avec ma vie professionnelle avec ma vie de sportif avec
ma vie de « professeur ».
A partir de maintenant je vois les
choses autour de moi sous un autre éclairage. Quand j'ai rencontré
des personnages qui n'étaient pas sincères avec les autres, qui se
mentaient à eux mêmes, qui jouaient à une comédie et qui
cherchaient sans cesse la scène et les projecteurs, j'ai eu un rejet
qui s'est installé et a grandi, cela approchait même la nausée.
Depuis, il m'importe surtout d'agir dans ce qui m'apparaît aller
dans le sens de l'amélioration de chacun et de tous, il ne s'agit
pas de me fondre et disparaître comme individu mais plutôt en
associant mes forces, mon énergie à mes frères et amis avoir plus
d'impact. Un philosophe qui vit en ermite n'arrivera qu'à se
convaincre lui-même du bien-fondé de sa philosophie et son groupe
sera réduit à une personne, l'humanité entière continuera son
chemin sans apport de la méditation de ce philosophe.
Quand j'entraîne des athlètes, j'ai
un groupe assez important avec quelques dizaines de membres, quand
des athlètes que j'entraîne deviennent à leur tour entraîneur,
mon groupe additionné aux groupes de mes athlètes-entraîneurs est
beaucoup plus grand. Quand ma sagesse est partagée, je reçois et je
donne, le “Je” deviens nous; nous contribuons chacun à notre
progression personnelle et collective.