samedi 2 octobre 2010

Le voyage de Millau

Il y a des voyages et des voyages.
Des voyages pour fuir, des voyages pour former la jeunesse et pour moi, des voyages pour forger ma sagesse. Mon voyage au Vietnam, cet été, me fait encore venir la larme à l’œil, ma poitrine se met à se serrer, c’est un mélange de sensation de nostalgie et de bonheur d’avoir voyagé si loin et si près de ce que je suis, un bout d’éternité de mon papa. Il n’est plus là mais il est souvent avec moi quand j’ai besoin de son soutien dans les coups de moins bien. Là, je suis dans un autre voyage, il est transatlantique alors il me permet de ne pas être happé par la continuelle connectivité à l’Internet et au réseau du téléphone mobile. C’est un moment de sérénité, le moment d’avoir l’esprit qui s’évade et le moment privilégié où je communique avec vous mes lecteurs mais aussi et surtout avec moi-même.
Des voyages m’ont fait grandir, il y a pile une semaine j’étais avec mes amis de courir-avec sur les routes de Millau à Millau via Le Rozier et via Saint Affrique. Grandir ce serait peut-être passer de celui qui ne fait que recevoir à celui qui reçoit et redonne, partage la chance d’avoir connu des êtres humains qui ont donné. Recevoir, donner, partager. Le voyage pour grandir ; comme vous tous j’ai été un bébé, je criais parce que j’avais faim, maman m’offrait la tétée, une maman ne se pose pas la question : « est-ce qu’il faut ou non donner à son bébé ». Tant que j’étais un enfant je recevais, on me donnait une friandise, c’était dans l’ordre des choses, j’ai été un peu capricieux mais une famille nombreuses m’a vite cadré car on doit savoir ne pas demander quand c’est tout juste que le budget est bouclé, papa et maman devaient toujours faire attention. Ce qui m’a inspiré ce papier n’est rien d’autre que le plaisir de lire un bon roman. Ce roman est comme une friandise que je savoure un peu hors du temps et j’ai eu l’envie d’écrire car c’est bien là où j’ai réalisé que j’ai grandi … un peu. J’aime lire, c’est bien un cadeau que je reçois quand je lis ; j’aime écrire, c’est un cadeau que je crois donner à ceux qui apprécient. C’est grâce à cela que je savoure ces moments d’introspection où je laisse glisser ma plume sur le papier, c’est une image car en fait c’est sur un clavier que je m’exprime. Tout se mélange, car en effet, samedi dernier c’était un formidable voyage, j’ai déjà un peu relaté la partie jusqu’à Saint Affrique et en guise de récit pour atteindre Millau, je vous sers un voyage certes qui est au dessus de l’atlantique mais surtout c’est un voyage intérieur et, ma foi, ce voyage me plait. Je revois les instants magiques sur le bitûme en pleine nuit et cela me procure du bonheur jusqu’à en pleurer.

L’autre soir, je dinais avec un ami qui me disait, j’ai mal mais à mon age, c’est normal et cela prouve que je suis toujours vivant. Moi je suis beaucoup plus jeune que lui et j’ai aussi mal de temps en temps, quand de vieilles blessures dues au sport reviennent à la surface.

A Millau, nous étions une équipe pleine d’enthousiasme. Des cents-bornards, des ultra-trailers, des ultra-raideurs et des marathoniens inquiets de la distance jamais à ce jour parcourue. Dans la catégorie ultra-raideurs, Bruno, Eric et Joelle, la diagonale des fous ou bien le grand raid du golfe du Morbihan, cela vous situe le niveau d’endurance, de plus, eux trois ont déjà fait Millau. Dans la catégorie superbe cent-bornard, il y a Gaëtan avec un passé dans l’équipe de France de 100km. Dans la catégorie, novices, Simon, Serge, Philippe et Nanou. Pour accompagner ce beau monde, des enfants en joëlette, Nicolas avec qui j’ai déjà couru le marathon de Nantes, le marathon de La Baule et celui de Paris, Maryline et Emmanuelle avec qui j’ai couru des trails comme Arzon ou le Glazig, le bout du monde.

Nous avons fait un très très beau voyage. Il m’arrive encore de courir pour moi, c’est un cadeau que de se faire dorloter par des bénévoles qui nous offrent de leur temps ; je sais ce que c’est que d’être organisateur, c’est du temps, de l’énergie qu’on donne. Il m’arrive de « courir avec » et ne croyez pas que c’est moi qui donne, ce sont les enfants qui nous offrent toute leur énergie, ils sont dans la joëlette et ils nous font un cadeau immense, le plaisir de voir leur bonheur. Au début c’est difficile car nous n’avons pas les mêmes moyens de communiquer, moi je parle, peut-être trop, eux, leur plus belle façon de s’exprimer ce n’est pas avec des mots mais en montrant qu’ils aiment, qu’ils apprécient le temps passé dans la joëlette à parcourir des endroits qui leur sont en temps normal interdits.
L’espace d’une course, ces enfants sont le centre de toutes les attentions. Des bénévoles viennent leur dire bonjour aux ravitaillements, certains les embrassent, cela me fait énormément plaisir et pourtant ça devrait être tous les jours comme ça.
Tous les jours, leurs parents sont des héros, tous les jours ils donnent, fatigués ou pas et je crois qu’ils sont souvent limite épuisés, ils donnent de leur temps de leur personne.

Pensez à ceci, ce qui est précieux c’est le temps qu’on donne aux autres ce n’est pas matériel.

Quand il a fait nuit, ce samedi après avoir quitté Saint Affrique, nous avons allumé nos lampes frontales, la montée de Tiergues est longue mais comme à chaque fois, l’arrivée au ravitaillement a été un moment de repos, de répit et de sourires échangés. A ce moment, il ne reste que 24 kilomètres environ, c’est déjà la fin en quelque sorte. C’est facile mentalement et de toutes façons, on ne peut que réussir et ce qui compte c’est terminer ensemble. Un photographe « officiel » du 100km essaie de trouver les meilleurs angles pour photographier notre équipe. Un caméramen de France 2 semble aussi enregistrer ces moments où nous sommes arrêtés. Le photographe nous demande de nous rassembler pour une photo et bien sûr nous nous exécutons car c’est toujours bien de la pub pour notre association. Ce n’est pas si simple d’amener les enfants à des centaines de kilomètres car il y a des contraintes d’horaire pour certains enfants. Les parents font aussi la course même s’ils ne mettent pas des chaussures de sport. Nous avons besoin quand même de partenaires.

Nanou et Joëlle ont pris le coup de repartir dès que possible du ravitaillement, moi-même au même endroit à l’aller j’avais perdu du temps et avait mis quasiment toute la descente pour recoller au groupe et j’en avais plus que de l’amertume. Sur ce coup, je décide de repartir avec les filles. Pendant tout l’entraînement, lors de mes séances seul, papa m’aidait mentalement, ce samedi soir dans la nuit, j’ai une pensée pour lui et je lui dit que je suis bien dans ma tête et c’est facile, j’ai mes amies les filles pour m’accompagner ; papa sera là plus longtemps une autre fois.

Quand dans la descente vers sainte rome nous entendons un groupe arriver, nous pensons bien que c’est l’équipe avec la joëlette. Maryline est dedans depuis la sortie de Saint Affrique. La descente est moins difficile, moins cassante car la pente est moins forte. Alors que les lumières de la ville sont bien visibles, nous rattrapons Mario, cette fois il n’a pas son petit vélo, des ampoules l’empêchent d’être bien et il a moins la verve. Je lui propose de prendre un relais, de prendre une canne de la joëlette, il me répond qu’il n’a pas le niveau. Tant pis, il ne sait pas qu’en fait, la joëlette est magique car en la tenant, on n’a plus à gérer ses inquiétudes, ses incertitudes, ses envies de lâcher, de ralentir voire d’arrêter un peu, de marcher, pire d’abandonner. Pour les enfants, un quelconque coureur autour de la joëlette, s’il est bien entraîné n’a plus à se poser de question sur l’allure, le rythme, les temps de passage, que sais-je, il ne pense à rien ou presque rien, il pense que l’équipe est un tout et que l’enfant passera la ligne quoiqu’il arrive.

Adieu Mario et en avant pour atteindre le ravitaillement. Là nous devions faire un relais, Maryline devait céder sa place à Emmanuelle. Nous apprenons qu’Isabelle et manu sont bloquées à Creissels, un gentil organisateur fait du zèle et ne laisse pas passer le véhicule. Un moment il est proposé qu’on reparte sans enfant car ce serait difficile en cas de relais en plein parcours de récupérer Maryline. La petite qu’on croyait fatiguée grogne et montre qu’elle ne veut pas descendre. Son papa la réprimande, il ne s’agit pas d’en faire une capricieuse. Jean-marc le papa de Nicolas propose de suivre avec son camping car, même si ce sera difficile cela nous permettra de garder Maryline jusqu’au relais envisagée dès que la route sera réouverte.

A ce ravitaillement de Sainte Rome, je revoie stéphane, un ami croisé aux dossards. Stéphane, est un exemple d’humilité, c’est son premier cent-bornes, il a des chronos très corrects sur 10km et semi. Il a même gagné une course dans son coin pas loin d’Orléans, là il terminera sans doute pas très loin de nous, un peu avant ou un peu derrière. Il y a comme de l’admiration dans son regard, il me connaît un peu, sait que je ne suis pas très performant et comme pour beaucoup de monde les gars et les filles en maillot orange de « courir avec » sont un peu des « extra-terrestres »

Non, nous ne sommes pas extra, ultra, héros ou surhumains, juste des hommes et des femmes qui avons pris l’engagement d’être là quand il le faut, pour cela nous mettons de côté notre égo, nous nous entraînons pour être à la hauteur et être au service de l’équipe.

Les kilomètres s’enfilent, je ne vois plus le temps passer, de temps en temps quand la joëlette me rejoint je tends ma main pour montrer que je suis disponible pour un relais, celui qui tient la canne peut me le refuser en me disant : « je viens juste de prendre le relais ». Le rythme devient difficile à tenir alors dans la nuit, il nous arrive à chacun de partir devant pour courir à une allure plus naturelle et puis on se dit qu’il faut arriver ensemble, on ralentit et re … on propose de prendre un relais. C’est chouette quand on prend la canne, on fait « corps » avec la joëlette.

Les lumières de St Georges sont proches, ah comme j’aime courir dans la nuit. Plus de repère visuel alors on a l’impression de voler quand on se met à son rythme naturel. Tout d’un coup la déripette menace, c’est très clair dans ma tête, j’accélère le maximum, je rejoins la salle de ravito, que je connais bien, je vais au petit coin et cela me permettra de repartir avec le groupe, ce serait ballot de se séparer si près du but.

Sitôt pensé, sitôt je me met à fond, à fond.

J’arrive dans la salle, les néons ne sont pas si sympas, je plisse des yeux, pas grave même les yeux fermés je sais où sont les toilettes, j’y vais, j’y cours et c’est limite catastrophe.

Ouf, c’est la délivrance. Premier constat, il n’y a plus de papier, je descends mon TS au plus bas et passe de toilette en toilette : « pas de papier, nulle part ». Je vais dans la salle principale les mains tirant sur le TS et le froc baissé, demande du sopalin et termine la chose la plus passionnante que vous ayez lue.

Dans la salle les copains qui ont vu ça rigolent un peu, pas trop parce que la fatigue les a quand même entamés.

La sortie de la salle se fait dans le désordre. Notre groupe qui était soudé, n’est plus que l’ombre de lui-même. Maryline est toujours dans la joëlette et du coup, nous devrons faire le relais à Creissels au niveau du centre commercial. Les départs de la salle sont complètement désynchronisés, il y a éric, simon et joelle, puis nanou et phlippe, je les rejoint. Dans la montée au viaduc, je vois la joelette à quelques dizaines de mètres, nanou et philippe accélèrent pour la rattraper, le regroupement ne se fait pas, je pense qu’ils veulent prendre de l’avance et attendre tout le monde au relais. Je décroche, mon moral est dans les chaussettes. Nanou et Philippe s’éloignent petit à petit, je suis seul et je me fais doubler car ma marche est très lente. Philippe me demande d’accrocher, je n’y arrive pas. Plus de joëlette en vue, je suis fracassé moralement. Serge a dû me doubler et rejoindre Philippe et Nanou.
Soudain, Bruno arrive et me réconforte, je ne suis pas le dernier, il me dit que Gaëtan est avec lui. Je n’arrive pas à tenir un rythme de marche correct. Bruno me soutient, me met juste la paume dans mon dos et c’est comme si je sentais une poussée … morale, mentale psy, bref ça me requinque et je me met au rythme de notre petit groupe de trois.

Nous arrivons au plateau en dessous du viaduc, j’avais espéré que la joelette s’arrête quand même pour que nous arrivions ensemble au relais.

Bruno dit : « cela ne va pas le faire » alors il pique une accélération pour aller chercher la joëlette qui est dans la descente. D’où je suis je ne peux pas voir. Plus tard, je constate que Bruno a ralenti tout le monde et nous sommes à nouveau tous ensemble.

De peur de ne pas être à la hauteur, je pars avec Nanou et Joëlle, cette dernière a les mots juste pour encourager Nanou qui est bien fatiguée, elle va devenir cent-bornarde et ce n’est pas si facile.

Il y a un dernier ravitaillement, nous somme peut-être déjà dimanche matin, je dis à mes petites camarades que c’est bien de s’arrêter même si ça ne sert à rien pour nous requinquer puisque c’est la fin mais déjà c’est respecter les bénévoles qui sont là depuis 14 heures et qui resteront jusqu’à l’aube, les derniers passeront là vers 9 heures du matin. Ils nous offriront des boissons et des sourires. Nous les remercierons.

Nous passons le 95ème, bizarrement, alors que je croyais que c’était « descente depuis le viaduc jusqu’à Millau », il y a des faux plats montants. Pas grave, c’est presque fini. A partir de maintenant les indications de kilomètrage ne seront plus tous les 5kms mais bien tous les kilomètres.

Enfin, je reconnais le pont où il y a 4 ans, je voulais abandonner car pour moi, « ils avaient oublié de marquer le 98ème , cela faisait une éternité que j’avais passé le 97ème. Nonil n’avait pas oublié mais ce 98ème kilo j’avais du le faire complètement occis.

Il est clair que je savoure déjà, je ne suis même pas fatigué, cela sent l’avoine, j’en hennis de joie.

Le 99ème est juste après le rond-point dans la dernière ligne droite où se trouve l’entrée du parc. L bonheur est proche

Puis, ca y est, à l’entrée du parc des victoires, Emmanuelle est dans la joëlette, Maryline et Nicolas dans leur chaises, ils seront poussés par Léa et Domino qui ont fait toute la course à vélo pour nous accompagner nous soutenir, ils ne méritent pas l’étiquette de suiveur inscrite sur leur dossard.

Nous courons les derniers mètres.

La rampe, extérieure nous amènent sur le podium. Le speaker nous annoncent. Beaucoup croyaient qu’on ne faisait que le marathon, et bien non, nous avons tout bouclé, les cent bornes! La salle entière nous offre une ovation. Merci pour les enfants merci pour leurs parents qui en pleurent de joie.

Merci à tous mes amis de « courir avec » de m’avoir offert ce merveilleux voyage dans l’Aveyron et aussi ce voyage intérieur qui me fait grandir encore et qui me dit, bébé tu réclamais la tétée, maman te la donnait, papa t’a offert ton éducation sa sagesse, son sens de l’art, son humanité, maman l’a aimé, l’aime toujours, cela fait 60 ans d’amour, moi aujourd’hui j’ai le bonheur de donner , de recevoir de partager avec mes amis et surtout avec mes très proches qui me donnent toute leur affection et m’encouragent dans ce que je fais, je partage mon bonheur avec ceux qui le méritent et avant tout celle qui est toujours à mes côtés … même en ce moment, nous sommes séparés par l’océan mais unis.

Chez moi il n’y a aucun conflit ni dans ma tête ni dans mon foyer, je suis soutenu et cela me donne la sérénité, un brin d’éternité.